Texte 'Celle qui vient du CNA', la Victoire de Samothrace envahie par le lierre

par Sophie Billard

Ambivalence du lierre

Le lierre, dernière liane préhistorique de nos contrées est très présent sur l’île Nancy, lieu de l’exposition** à Andresy (78). Universel, il est emblème d’éternité en Egypte ancienne ; à Rome, il protège les adeptes de Bacchus et tressé en, récompense les poètes. En langage des fleurs, il symbolise la fidélité et l’amitié. Un poète*** horticulteur le compare à une cotte apte à faire corps avec l’arbre qu’il protège ainsi des maladies et du froid. Mais pour le grand public, le lierre est une mauvaise herbe, un parasite. La fidélité et la constance de nos racines profondes seraient donc paralysantes ? La pérennité de nos lois et de notre éducation étoufferait notre développement et notre vivacité ?

Projet

J’ai voulu interroger ces contradictions et réfléchir sur la notion d’héritage. Dans ce but, j’ai imaginé sur l’île une célèbre sculpture helléniste facilement identifiable : la magnifique Victoire de Samothrace. Ainsi rencontre-t-on en France une sculpture classique au détour du chemin d’un parc urbain. Le projet propose de confronter au lierre une version inspirée du chef d’oeuvre grec et prévoit sa disparition sous l’assaut de la plante ambivalente. Ou : l’historique messagère (angelos en grec), symbole de conquête, libre de son envol, risque l’étouffement, une racine se substituant à son corps. Ou encore : l’allégorie de la Victoire en marbre éternel est dématérialisée par la puissance indéfectible d’un lien biologique. Dans cette métamorphose très grecque, il est question du coût de la fidélité, de l’amitié, de l’attachement à nos valeurs et de l’éternel besoin d’adaptation et de redéfinition pour un nouveau départ.

Choix plastiques

J’ai opté pour l’usage de tiges entrecroisées, langage des architectures de jardin où la sculpture doit paraître. Les lignes souples et obliques du corps évoque le drapé virtuose de l’original. Je travaille en similitude. Au contraire, sur les éléments symboliques, porteurs de vitalité et de transcendance - la barque, les cheveux, les ailes -, j’ai rendu l’abstraction de la réflexion par un jeu géométrique de parallèles et rectangles 3 par 1. Cette proportion rythme plusieurs échelles : -- 30 x 10 cm sur la barque et les ailes -- 12 x 4, les cheveux -- 3 x 1, la jupe et le lierre déployé -- 1.5 x 0.5, la peau -- Cette proportion est celle des rectangles de l’armature d’une dalle de béton, donc issue de la construction. Je suis en phase d’élaboration. Choix formels La Victoire de Samothrace est interprétée. Délaissant la figure allégorique destinée à l’imaginaire des marins, j’ai voulu une femme incarnée, elle-même victorieuse et déterminée. Blanche comme le marbre mais presque transparente, sa présence à l’orée du bois est encore timide. Elle s’affirme sur une embarcation modeste, non militaire. Sportive, sans déhanchement traditionnel, elle se pose franchement sur le pont, face aux matelots comme interlocutrice valable, solidaire et trouve sa place parmi les hommes. Elle est orientée à l’inverse du modèle antique et tourne le dos aux figures de proue. J’ai choisi des vêtements actuels. La jupe vole comme l’himation de la divinité. Son visage plein en résine blanche contraste avec la légèreté du corps et rappelle la tête perdue de la statue du Louvre. En lui donnant la parole, j’ai cherché sur son visage une expression active et concentrée.

Assaut du lierre

Le lierre est présent sous trois formes : Le mode ‘figuratif’ respecte la forme et l’échelle de la feuille. Il se trouve dans les bois alentour, la barque, aux pieds de la sculpture, puis dans la poitrine, une joue et les cheveux. Il signifie l’envahissement et la menace d’étouffement. Le mode ‘maîtrisé’ est de même échelle et texture que le lierre ‘figuratif’ mais la feuille est rectangulaire. Il signifie l’assimilation de la plante et l’utilisation de ses meilleures caractéristiques. Il grimpe le long des jambes jusqu’à la taille. Le mode ‘transcendant’ présente un lierre schématisé, géométrique, largement agrandi contenant le treillage 3/1 décrit ci dessus. Il représente la connaissance critique des symboles de la plante et constitue la matière interne des ailes. Les feuilles sont légèrement superposées pour un effet dynamique.

Conclusion

La peur d’étouffer par un lien trop étroit a guidé ma sculpture. Mais je n’ai pas pu annihiler la vitalité de l’oeuvre par une accumulation de feuilles selon le projet initial. Au contraire, j’ai renoncé à anéantir le modèle et transformé le lien pendant la réalisation. La Victoire est gagnante et le lierre m’a permis de mener ce projet à terme. Merci de votre regard et votre attention.

* Celle qui vient du CNA (Chantier Naval d’Achères) 2014, Acier soudé, résine, H 2m80, L 1m50, P 1m75 Professeur d’arts visuels de la ville de Paris, je soude sur les péniches depuis plus de 2 ans. Le titre de ma victoire est clin d’oeil à son lieu d’origine et permet de remercier le chantier. ** Sculpture-en-l’Ile, 17e édition Commissariats : Galerie Baudoin Lebon (75), Maison Laurentine (52), ville d’Andresy (78) Ile Nancy, face à la mairie d’Andrésy, jusqu’au 21 septembre 2014. *** Rémi Carritey, «Lierre», catalogue ‘Sculptures en l’Ile’, 2013.

Septembre 2016

La Victoire est maintenant installée en aval de l'Ile Nancy, face au chantier naval d'où elle vient, devenu Chantier Naval de Seine et Oise. J'ai planté du lierre ce mois ci pour la deuxième fois et j'espère qu'il va réussir à grimper le long de la treille et résister à son exposition au soleil.

Merci de l'arroser en été si vous passer par là ....

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